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Feb 1, 2016

Durée du chômage et perception du marché du travail : quelles conséquences pour l’estime de soi ?

Depuis la crise, de plus en plus de chômeurs doivent faire face à une période d’inactivité qui dure sans entretenir beaucoup d’espoir à propos de leur situation. Entre 2007 et 2014, le chômage de longue durée (i.e., supérieur à un an) a doublé en Europe. Sur les 23 millions de chômeurs recensés par les 28 États-membres de l’Union Européenne, 12.1 millions le sont depuis plus d'un an. La peur du chômage chez les jeunes explique d’ailleurs en partie l’explosion du nombre d’inscriptions à l’Université en France. Pour cette rentrée 2015, elles comptent 65 000 étudiants supplémentaires, et à en croire le Tumblr participatif "Masalledecoursvacraquer", cette hausse n’est pas sans conséquences logistiques.

      Il n’est pas surprenant d’avoir peur du chômage. D’une part, au niveau individuel, les chômeurs sont confrontés à de nombreuses difficultés, à la fois matérielles (e.g., difficultés financières, dégradation de l’hygiène de vie et de l'accès aux loisirs) et psychologiques (e.g., perte du sentiment d'auto-efficacité, de contrôle, diminution de l’estime de soi). D’autre part, au niveau interpersonnel, perdre son emploi dans une société où l’utilité et l’activité professionnelle suscitent la reconnaissance sociale expose l'individu à la stigmatisation et à ses répercussions néfastes pour l'image de soi.


Source: shutterstock

Dans un contexte où la durée du chômage s’allonge et où la crise de l’emploi se poursuit, nous pourrions nous demander : quelles sont les conséquences de la durée du chômage et de la perception du marché du travail sur l’estime de soi des demandeurs d’emploi ? Ce sont les questions qu’une étude menée par De Koning, Bourguignon et Roques, publiée dans la Revue Internationale de Psychologie Sociale (RIPS) en 2015, a souhaité analyser.

La perception du marché de l’emploi : quel impact sur l’estime de soi ?


     Tous les demandeurs d’emploi ne perçoivent pas leur situation de la même façon, ce qui affecte en retour leur estime de soi. Certains considèrent qu’ils pourront bénéficier de nombreuses opportunités pour trouver un emploi à l’avenir tandis que ce n’est pas le cas pour d’autres. Le fait d’avoir une vision fermée du marché de l’emploi (i.e., perception « imperméable ») plutôt qu’une vision ouverte (i.e., perception « perméable ») s’accompagne d’effets négatifs sur l’estime de soi. Une étude menée par Boudrenghien, Nils, Jourdan et Bourguignon en 2009 montre par exemple que les étudiants qui pensent pouvoir bénéficier d’une insertion professionnelle rapide quand ils termineront leur cursus ont une estime de soi plus élevée que les étudiants qui pensent que leur insertion sera difficile.



Source: shutterstock

Quel rôle de la durée du chômage sur le lien entre perception du marché du travail et estime de soi ? 


Bien que celle-ci soit peu mobilisée dans les études, la durée du chômage reste essentielle à une compréhension plus fine de l’impact du chômage sur les individus. Sans surprise, les effets négatifs du chômage augmentent avec sa durée : plus une période d’inactivité persiste, plus elle suscite des conséquences négatives sur le bien-être des individus, et notamment sur leur estime de soi (Paul & Moser, 2009). Par ailleurs, les demandeurs d’emploi sont également sujets à un effet de « dépendance à la durée du chômage », correspondant à une baisse de la probabilité de sortir du chômage à mesure que la durée du chômage augmente, ce qui peut également impacter l’estime de soi.
En se basant sur ces éléments, De Koning, Bourguignon et Roques (2015) ont examiné le rôle modérateur de la durée du chômage sur le lien entre la perception du marché de l’emploi et l'estime de soi des individus, en émettant l’hypothèse qu’une vision imperméable (i.e., fermée) devrait détériorer l’estime de soi des individus, et ce d’autant plus que la durée du chômage augmente.
           

            Le chômage de longue durée et le désengagement psychologique


       Les auteurs ont interrogés deux cent cinquante sept demandeurs d’emploi à propos de la durée de leur chômage, de leur vision du marché de l’emploi et de leur niveau d’estime de soi. Contrairement aux hypothèses formulées par les auteurs, les résultats montrent que si, au début de la période de chômage, une perception imperméable (i.e., fermée) du marché de l’emploi est négativement liée à l'estime de soi, ce lien disparaît au fil du temps. En effet, il apparaît qu’une perception imperméable du marché de l’emploi a des conséquences négatives sur l'estime de soi des chômeurs de courte durée, mais n’affecte plus l'estime de soi des chômeurs de longue durée. Néanmoins, il faut noter que les chômeurs de longue durée ont dans l'ensemble un niveau d'estime de soi relativement faible, quelle que soit leur perception du marché de l’emploi.

       Les auteurs évoquent la notion de désengagement psychologique décrite par Major, Spencer, Schmader, Wolfe et Crocker (1998) pour expliquer ces résultats. Celle-ci correspond à une stratégie utilisée pour faire face à des situations où l’estime de soi est menacée, conduisant les individus stigmatisés à minimiser l’importance de ce qui fait l’objet de leur échec. Le processus de désengagement psychologique amènerait l’individu à dissocier l’estime qu’il a de lui et l’objet de l’échec qu’il expérimente, ce qui permettrait de protéger le soi. Dès lors, il pourrait être envisagé que les chômeurs de longue durée, qui font face à de nombreux échecs dans leur recherche d'emploi, aient recours à cette stratégie pour se protéger contre la menace des potentiels échecs auxquels ils devront à nouveau faire face. Si cette recherche permet de mieux appréhender les stratégies utilisées par les chômeurs avec le temps, d'autres études sont nécessaires pour analyser leurs conséquences pour le bien-être mais aussi pour l’insertion professionnelle.


Références


Boudrenghien, G., Nils, F., Jourdan, D., & Bourguignon, D. (2009). Perception de la perméabilité du marché du travail chez les jeunes en fin de secondaire. L’Orientation Scolaire et Professionnelle, 38 (1), 3-24. doi:10.4000/osp.1819.
De Koning, M., Bourguignon, D. & Roques, M. (2015). Perception of the labour market as impermeable and personal self-esteem: the moderating role of the duration of unemployment. International Review of Social Psychology / Revue Internationale de Psychologie Sociale, 28(2), 81-96.
Paul, K., I., & Moser, K. (2009). Unemployment impairs mental health: Meta-analyses. Journal of Vocational Behavior, 74 (3), 264-282. doi:10.1016/j.jvb.2009.01.001.

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Bourguignon, D., Desmette, D., Yzerbyt, V., & Herman, G. (2008). Activation du stéréotype, performance intellectuelle et intentions d'action: Le cas des personnes sans emploi. International Review of Social Psychology / Revue Internationale de Psychologie Sociale, 20(4), 123-153.

Lagacé, M., Tougas, F., Laplante, J., & Neveu, J. F. (2010). Communication âgiste au travail: une voie vers le désengagement psychologique et la retraite des infirmières d'expérience?. International Review of Social Psychology / Revue Internationale de Psychologie Sociale, 23(4), 91-121.
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