Depuis la crise, de plus en
plus de chômeurs doivent faire face à une période d’inactivité qui dure sans
entretenir beaucoup d’espoir à propos de leur situation. Entre 2007 et 2014, le chômage de longue durée (i.e.,
supérieur à un an) a doublé en Europe. Sur les 23 millions de chômeurs recensés
par les 28 États-membres de l’Union Européenne, 12.1 millions le sont depuis
plus d'un an. La peur du chômage chez les jeunes explique d’ailleurs en
partie l’explosion du nombre d’inscriptions à l’Université en France. Pour
cette rentrée 2015, elles comptent 65 000 étudiants supplémentaires, et à en
croire le Tumblr participatif "Masalledecoursvacraquer",
cette hausse n’est pas sans conséquences logistiques.
Il n’est pas
surprenant d’avoir peur du chômage. D’une part, au niveau individuel, les
chômeurs sont confrontés à de nombreuses difficultés, à la fois matérielles (e.g.,
difficultés financières, dégradation de l’hygiène de vie et de l'accès aux
loisirs) et psychologiques (e.g., perte du sentiment d'auto-efficacité, de
contrôle, diminution de l’estime de soi). D’autre part, au niveau
interpersonnel, perdre son emploi dans une société où l’utilité et l’activité
professionnelle suscitent la reconnaissance sociale expose l'individu à la
stigmatisation et à ses répercussions néfastes pour l'image de soi.
Source: shutterstock
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Dans un contexte où la durée du chômage s’allonge et où la crise de
l’emploi se poursuit, nous pourrions nous demander : quelles sont les conséquences de la durée du chômage et de la
perception du marché du travail sur l’estime de soi des demandeurs
d’emploi ? Ce sont les questions qu’une étude menée par De Koning, Bourguignon
et Roques, publiée dans la Revue Internationale de Psychologie Sociale (RIPS) en 2015, a souhaité analyser.
La perception du marché de l’emploi : quel impact sur l’estime de soi ?
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Quel rôle de la durée du chômage sur le lien entre perception du marché du travail et estime de soi ?
Bien que celle-ci soit peu mobilisée dans les études, la durée du
chômage reste essentielle à une compréhension plus fine de l’impact du chômage
sur les individus. Sans surprise, les effets négatifs du chômage augmentent
avec sa durée : plus une période d’inactivité persiste, plus elle suscite
des conséquences négatives sur le bien-être des individus, et notamment sur
leur estime de soi (Paul & Moser, 2009). Par ailleurs, les demandeurs
d’emploi sont également sujets à un effet de « dépendance à la durée du chômage »,
correspondant à une baisse de la probabilité de sortir du chômage à mesure que
la durée du chômage augmente, ce qui peut également impacter l’estime de soi.
En se basant sur ces éléments, De Koning, Bourguignon et Roques (2015) ont
examiné le rôle modérateur de la durée
du chômage sur le lien entre la perception du marché de l’emploi et l'estime de
soi des individus, en émettant l’hypothèse qu’une vision imperméable (i.e.,
fermée) devrait détériorer l’estime de soi des individus, et ce d’autant plus
que la durée du chômage augmente.
Le chômage de longue durée et le désengagement psychologique
Les auteurs ont interrogés deux
cent cinquante sept demandeurs d’emploi à propos de la durée de leur chômage,
de leur vision du marché de l’emploi et de leur niveau d’estime de soi. Contrairement
aux hypothèses formulées par les auteurs, les résultats montrent que si, au début de la période de chômage, une
perception imperméable (i.e., fermée) du marché de l’emploi est négativement
liée à l'estime de soi, ce lien disparaît au fil du temps. En effet, il
apparaît qu’une perception imperméable du marché de l’emploi a des conséquences
négatives sur l'estime de soi des chômeurs de courte durée, mais n’affecte plus
l'estime de soi des chômeurs de longue durée. Néanmoins, il faut noter que les
chômeurs de longue durée ont dans l'ensemble un niveau d'estime de soi
relativement faible, quelle que soit leur perception du marché de l’emploi.
Les auteurs évoquent la
notion de désengagement psychologique
décrite par Major, Spencer, Schmader, Wolfe et Crocker (1998) pour expliquer
ces résultats. Celle-ci correspond à une stratégie utilisée pour faire face à
des situations où l’estime de soi est menacée, conduisant les individus
stigmatisés à minimiser l’importance de
ce qui fait l’objet de leur échec. Le processus de désengagement
psychologique amènerait l’individu à dissocier l’estime qu’il a de lui et l’objet
de l’échec qu’il expérimente, ce qui permettrait de protéger le soi. Dès lors,
il pourrait être envisagé que les chômeurs de longue durée, qui font face à de
nombreux échecs dans leur recherche d'emploi, aient recours à cette stratégie
pour se protéger contre la menace des potentiels échecs auxquels ils devront à
nouveau faire face. Si cette recherche permet de mieux appréhender les
stratégies utilisées par les chômeurs avec le temps, d'autres études sont
nécessaires pour analyser leurs conséquences pour le bien-être mais aussi pour l’insertion
professionnelle.
Références
Boudrenghien, G., Nils, F., Jourdan, D., &
Bourguignon, D. (2009). Perception de la perméabilité du marché du travail chez
les jeunes en fin de secondaire. L’Orientation Scolaire et Professionnelle,
38 (1), 3-24. doi:10.4000/osp.1819.
De Koning, M., Bourguignon, D. & Roques, M. (2015).
Perception
of the labour market as impermeable and personal self-esteem: the moderating
role of the duration of unemployment. International
Review of Social Psychology / Revue Internationale de Psychologie Sociale, 28(2), 81-96.
Paul, K., I., & Moser, K. (2009). Unemployment
impairs mental health: Meta-analyses. Journal
of Vocational Behavior, 74 (3),
264-282. doi:10.1016/j.jvb.2009.01.001.
Thématiques similaires dans la RIPS
Bourguignon, D., Desmette, D., Yzerbyt, V., &
Herman, G. (2008). Activation du stéréotype, performance intellectuelle et
intentions d'action: Le cas des personnes sans emploi. International Review
of Social Psychology / Revue Internationale de Psychologie Sociale, 20(4),
123-153.
Lagacé, M., Tougas, F., Laplante, J., & Neveu, J.
F. (2010). Communication âgiste au travail: une voie vers le désengagement
psychologique et la retraite des infirmières d'expérience?. International
Review of Social Psychology / Revue Internationale de Psychologie Sociale, 23(4),
91-121.