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Mar 28, 2016

Interview d'Armelle Nugier


Béatrice Degraeve : Entre 2012 et 2015, vous avez travaillé dans le cadre d’un projet porté par Serge Guimond, Professeur au Laboratoire de Psychologie Sociale et Cognitive CNRS de Clermont-Ferrand, sur le thème de l’immigration, et plus précisément sur l’adaptation des groupes majoritaires face aux politiques d’intégration en France et au Québec. Un article basé sur ce projet, réalisé en collaboration avec Marlène Oppin, Medhi Cohu, Rodolphe Kamiejski, Elodie Roebroeck et Serge Guimond, est paru tout récemment dans la Revue Internationale de Psychologie Sociale. Les deux études que vous avez développées se basent sur les travaux de Kamiejski et collaborateurs, publiés en 2012, portant sur le rôle du modèle républicain dans l’acceptation, le respect et l’intégration des citoyens. Pouvez-vous nous dire comment les Français se représentent ce modèle républicain, et quelle est la différence entre la laïcité et la « nouvelle laïcité », à laquelle vous faites référence dans cette publication ?
Armelle Nugier : Bien que les sciences humaines et sociales en France ont abondamment contribué à l’analyse des caractéristiques du modèle républicain d’intégration, très peu de travaux se sont intéressés aux effets de ce modèle sur les individus et les attitudes envers la diversité culturelle en France. Les travaux de Serge Guimond et Rodolphe Kamiejski font parti des premiers travaux de la psychologie sociale à avoir mis en évidence l’aspect bi-dimensionel de la représentation qu’ont les français de ce modèle et l’influence parfois délétère que certains de ces aspects peuvent avoir. Au travers une série d’enquêtes auprès d’étudiants d’université, les auteurs ont en effet montré que les participants adhéraient en masse à une dimension appelée « citoyenneté républicaine » par les auteurs, revendiquant la banalisation des appartenances culturelles au profit d’une égalité citoyenne, et de façon simultanée mais indépendante, à une autre dimension appelée « laicité » reflétant davantage le désir de confiner à la sphère privée, et non publique, les manifestations d’appartenance religieuse. Elle renvoie par exemple à l’appui pour l’interdiction de signes religieux ostensibles dans les écoles publiques. Cette deuxième conception peut donc être reliée à la loi française de 2004. L’analyse des liens entre l’adhésion à ces principes républicains et les autres variables renforcent considérablement l’importance d’établir cette distinction entre ces deux dimensions. En effet, Kamiejski et al. ont montré qu’alors que le fait d’appuyer la citoyenneté républicaine est relié à des attitudes positives envers la diversité culturelle et davantage de tolérance, c’est exactement l’inverse qui est observé pour ce qui est du fait d’appuyer le principe de laïcité tel que défini dans leur travail. Cette laïcité peut être définie comme la représentation d’une nouvelle laïcité en France qui viendrait s’opposer et substituer peu à peu à ce qui est communément appelé la laïcité historique ou d’inclusion, plus proche de ce qui a été appelé ici la citoyenneté républicaine. Le concept n’est pas nouveau et beaucoup de sociologues l’on déjà pointé. La laïcité historique renvoie à la définition originale de la laïcité que l’on peut isoler dans les textes de la constitution Française depuis 1905. Elle reflète une attitude positive envers l’idée de citoyens libres et égaux en droit, sans distinction d’origine, de couleur ou de religion. Elle revendique notamment la tolérance et le respect de la pratique du culte et positionne l’Etat comme un élément neutre qui se doit d’être respectueux vis-à-vis des religions et de n’en favoriser aucune au détriment des autres.


Antoine Roblain : Dans la première étude, vous avez mis en évidence une forte adhésion des participants à la nouvelle laïcité : la transgression de ce principe fait l’objet d’une réprobation sociale chez les personnes interrogées. Vous avez également pris en compte le niveau de préjugés des participants vis-à-vis des personnes d’origine maghrébine. Est-ce que celui-ci a eu un impact sur le niveau d’adhésion à cette nouvelle laïcité ?

Armelle Nugier : Comme dans les travaux de Kamiejski, les présents résultats révèlent un lien assez fort entre préjugés et défense de la nouvelle laïcité. D’une part, nos participants ayant le plus de préjugés sont aussi ceux qui ont le plus désapprouvé le comportement de la cible déviante. Cela nous amène à penser que le principe de nouvelle laïcité est important pour les personnes à forts préjugés puisqu’ils sont ceux qui sont les plus désireux de voir la cible se conformer à la norme. D’autre part, on observait un lien statistique direct entre la mesure de préjugés et la mesure de l’adhésion personnelle à la nouvelle laïcité selon lequel le niveau de préjugés était relié positivement au niveau d’adhésion.

Béatrice Degraeve : Dans la deuxième étude, vous avez fait varier la nature de la cible en introduisant en plus de la cible musulmane (Yasmina), une cible catholique (Bénédicte), adoptant toutes les deux des attitudes contre-normatives par rapport à la nouvelle laïcité. Quel objectif se cachait derrière l’introduction de cette deuxième cible ?
Armelle Nugier : L’idée était simplement de montrer que le traitement d’une même déviance peut-être différent selon les groupes d’appartenance. Ici, les réactions à la transgression étaient plus marquées lorsque le comportement était le fait d’une personne musulmane plutôt que d’une personne catholique mais uniquement pour les personnes ayant de forts préjugés. Dans cette situation comparative axée uniquement sur la déviance, les personnes ayant de forts préjugés semblent profiter du prétexte de la déviance à la laïcité pour exprimer leur rejet des minorités religieuses au travers de la pression normative et l’évaluation négative. Ils ne défendent plus seulement la laïcité transgressée, ils se comportent aussi de manière discriminatoire à l’égard des Musulmans.

Antoine Roblain : Pensez-vous que le contexte de menace terroriste peut avoir une influence sur l’attachement au modèle républicaine, et plus particulièrement à la nouvelle « laïcité ?
Armelle Nugier : Les récentes recherches menées dans notre laboratoire entre 2014 et 2015 par l’équipe de Serge Guimond, mettent en évidence le rôle des normes culturelles d’intégration dans les réactions psychologiques face au terrorisme. Selon la théorie de la gestion de la terreur (Greenberg & Arndt, 2013), les visions culturelles du monde, que l’on peut rapprocher des normes culturelles d’intégration en ce sens qu’elles aussi sont des croyances sociales partagées, sont des mécanismes de défense efficaces qui permettent aux individus de se prémunir contre l’anxiété généralisée découlant des menaces existentielles, dont font partie les attentats terroristes. Une des recherche menée a par exemple examiné l’impact des modèles d’intégration suite aux attentats terroristes meurtriers du 7 janvier 2015 à Paris sur le sentiment de menace et d’hostilité. Ce que nous mettons en évidence c’est qu’au sein d’un groupe contrôle, de plus forts sentiments de menace et d’hostilité s’observent après les attentats qu’avant. En revanche, au sein d’une condition expérimentale qui rendait saillante la vision culturelle républicaine (i.e., la norme culturelle de laïcité historique), des effets inverses ont été observés. Autrement dit, la vision culturelle républicaine associée à la laïcité historique a apparemment permis aux individus de résister efficacement face à la peur et à la terreur que provoque habituellement le terrorisme. En revanche, aucun résultat ne permet de dire que la vision culturelle associée à la nouvelle laïcité offre une telle protection psychologique.

Béatrice Degraeve : Dans ce type de contexte, quelles seraient les implications politiques et sociales de cette adhésion, par rapport aux résultats que vous observez ?
Armelle Nugier : Le rôle de l’adhésion à la laïcité dans l’émergence de préjugés et de pression à la conformité reste encore à déterminer. Nos résultats, même s’ils donnent des indications sur le fait que ces 3 variables sont effectivement reliées, ne permettent pas en réalité de déterminer ce qui est la cause de quoi. Il est clair cependant qu’il existe une forte relation entre préjugés, l’intolérance envers les minorités (ici maghrébine musulmane mais on peut supposer envers toutes autres minorités religieuses) et l’adhésion à la laïcité dans sa nouvelle version, c’est-à-dire une version d’interdiction de la pratique religieuse dans les lieux publics notamment. D’un autre côté, et au regard des autres travaux, il semble que la laïcité historique est, elle, en France, un facteur de tolérance et d’ouverture à autrui. On pourrait donc supposer que, face au terrorisme, des politiques qui impliqueraient de promouvoir un idéal d’égalité et mettraient en œuvre des pratiques visant à atteindre cet idéal, seraient peut-être plus en mesure que d’autres politiques, de renforcer un mode de vie et un système de valeurs qui permet à chacun de vivre en paix et en pleine sérénité.
Antoine Roblain : Merci beaucoup pour le temps que vous nous avez consacré !
 









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